Christian Garcin
Vidas
Folio Gallimard 2007 (1997). Extraits.

Biographème très proche de la nouvelle. Avec des descriptions courtes mais fortes, percutantes (extrait court)

… Lorsque son père ivre mort tua la plus petite de ses sœurs à coups de pied, il lui planta un couteau rouillé à la base du cou, recula vers la porte vermoulue, et s’enfuit. Pendant six mois, il ne parla plus. Il erra à travers bois et montagnes, eut froid, faim, crut voir des loups le menacer, se nourrit de baies et d’insectes. Il avait treize ans.
Parfois il traversait des villages recroquevillés autour d’une église frileuse. Derrière les fenêtres, des visages ; certains le regardaient avec surprise, d’autres avec méfiance…

Vers la mi-décembre, après dix jours de jeûne complet, n’ayant plus de bois de chauffage, il lui fallut sortir dans la neige, les pieds maladroitement entourés de grossières bandes de tissu. Parfois il s’arrêtait, contemplait l’étendue neigeuse, en cherchait les limites, pensait à Dieu. Lorsque sa tête se mit à bourdonner si fort que la douleur le fit tomber, il recommençait à neiger. Il se sentit mourir doucement et devenir vaporeux, comme arraché du sol par des bras vigoureux – l’archange saint Michel, pensa-t-il.
Il avait été recueilli par les moines de l’abbaye de Faillefeu, située au fond d’une vallée obscure etinhospitalière. Il fut soigné, lavé, habillé. Il reprit des forces. Il reparla. Un mois plus tard, il fut sur pied.

Il fut heureux et paisible. Le travail du bois lui fatiguait le corps, la lecture des textes sacrés l’émerveillait…

Avec l’âge il devint volubile, acariâtre, riait de plus en plus fort, ne supportait ni les gens ni la solitude…

Sophie Calle
Des Histoires vraies. Acte Sud

Des Histoire Vraies tient du roman (elle échappe à sa vie), de la biographie, du biographème (avec utilisation de fragments), du journal intime (anecdotes chronologiques et intimes), du carnet d’artistes (par le mélange des photos et du texte).
Ce sont de courts textes accompagnés à chaque fois d’une photo.

Le nez
J’avais quatorze ans et mes grands-parents souhaitaient corriger chez moi certaines imperfections. On allait me refaire le nez, cacher la cicatrice de ma jambe gauche avec un morceau de peau prélevé sur la fesse et accessoirement me recoller les oreilles. J’hésitais, on me rassura : jusqu’au dernier moment j’aurais le choix. Un rendez-vous fut pris avec le docteur F., célèbre chirurgien esthétique. C’est lui qui mit fin à toutes mes incertitudes. Deux jours avant l’opération il se suicida.

Rêve de jeune fille
A quinze ans j’avais peur des hommes. Un jour, au restaurant, je choisis un dessert pour son nom : « Rêve de jeune fille ». Je demandai au serveur de quoi il s’agissait. Il répondit qu’il me réservait la surprise…

 

Jean-Jacques Salgon
07 et autres récits Ed. Verdier 1993

Succession de textes brefs, de fragments avec titres.

Chez la couturière
La couturière habitait seule, au bout du Petit Chemin, sur le haut de la colline, dans les parages de la Maison brûlée. M’y voici, conduit par ma mère, qui veut me faire confectionner un manteau.
La couturière me fait lever les bras au ciel pour prendre les mesures, me ceint la taille de son mètre ruban, puis, le faisant glisser sur mon cou, me taquine, me chatouille.
Plus tard, nous revenons pour les essayages : on m’habille de loques vaguement agrafées, futur manteau de Majesté. Petit pas à droite, puis à gauche, demi-tour, que la couturière me commande de faire. Suis-je un pantin ? Est-ce moi qu’on fabrique ?
Une fois la séance achevée, la couturière retire la rangée d’épingles de sa bouche, puis, ayant retrouvé l’usage de la parole, se livre avec ma mère aux délices de la conversation.
L’enfant aura bientôt son manteau. En attendant, il joue sur le grand escalier de bois verni sans garde-corps, dont on lui a expressément interdit l’accès.
Gloire, donc, à la conversation de la couturière : ma mère qui m’a oublié ne s’est toujours pas aperçue que la nuit est tombée.

 

Raymond Federman
Moi et mes lectures ou plutôt mes lectures et moi In Fusées 8, 2004

Biographème à partir de ses lectures (extrait court)

A 23 ans ½, la grande découverte : La Chartreuse de Parme. J’avais mis en première place, parmi tous les romans que j’avais lus jusqu’à cet âge, les Liaisons dangereuses, Stendhal passe immédiatement en première place.
A 26 ans j’ai osé aborder Montaigne. Il m’intimidait. J’ai tout lu. Chaque fois que j’ai besoin de me rafraîchir l’esprit je vais chez Montaigne.
Je me disais, si jamais il devient nécessaire de faire du plagiat pour écrire mes livres, c’est ici que je viendrai piquer des trucs.

A 29 ans, Céline. Tout Céline. Pendant un temps je croyais être Bardamu. Après tout lui aussi avait fait la traversée de l’Atlantique, lui aussiavait travaillé dans les usines de Détroit.
Je me disais, ce salaud il déteste les juifs – oui j’avais aussi lu les trucs dégeulasses qu’il avait écrit contre les juifs – mais qu’est ce qu’il écrit vachement bien. Faut que j’apprenne à écrire comme ça.